"Retrouver l’identité d’un club, d’une ville": Mathieu Bastareaud se livre avant le choc de samedi face à Bordeaux-Bègles

Huit ans plus tard, Toulon retrouve (enfin) les joies d’une demi-finale de Top 14. Titulaire au centre lors de la victoire face à La Rochelle (18-15) en 2017, Mathieu Bastareaud a accepté de se confier, ce mardi midi au Campus. Aujourd’hui coordinateur sportif du RCT, il revient sur cette longue traversée du désert, l’identité toulonnaise, le lourd héritage à porter ou encore son nouveau rôle.
Toulon n’avait plus joué une demi-finale depuis 2017. Comment expliquez-vous ce passage à vide?
C’est assez évident. Le club a manqué de continuité. On a atteint une finale de Top 14 avec Richard Cockerill en 2017, il a été remercié. On a fait une année avec Fabien Galthié, il a été remercié. On est ensuite reparti avec Patrice Collazo la saison suivante. Il n’y a pas eu de continuité, ni au niveau du staff, ni au niveau de l’effectif. On sortait d’une période faste pour le RCT. Mais le club n’a pas su remplacer un Juan Martín Fernández Lobbe, un Jonny Wilkinson quand il a arrêté, ou un Bakkies Botha. Et pas que par leur niveau sur le terrain. Par leur aura, leur identité, leur transmission.
Toulon a-t-il, au fil des saisons, perdu son identité?
Un peu. Quand on jouait, ma génération avait une identité. On n’était peut-être pas l’équipe la plus flamboyante mais on était très fort devant… et on pouvait envoyer les fusées derrière. Toulon, c’est ça depuis la nuit des temps. Le jeu d’avants et les phases de combat. C’est ce qu’aiment les gens ici. Les mêlées, les gros plaquages, être dur sur l’homme. Je n’invente rien. Quand on dit "guerriers toulonnais", c’est qu’on aime se frotter. À une certaine période, oui, on avait perdu ça. Il y a eu énormément de mouvements d’entraîneurs et de joueurs. Est-ce que ceux qui étaient là à l’époque ont repris le flambeau? Je ne suis pas sûr.
Vous avez quitté le club en 2019, avant de le retrouver en 2022. Avez-vous continué de suivre les difficultés du RCT à cette époque?
Oui, comme tout amoureux et supporter. Après, je n’étais pas en interne et, à cette époque-là, ça ne m’intéressait pas de le savoir. Ça avait l’air compliqué. Quand je suis revenu, j’avoue que je n’ai pas vraiment reconnu le club. Je n’ai pas retrouvé cette identité forte. Même dans certains comportements. J‘ai essayé de prendre un peu de recul et de me dire: "Est-ce que je fais le vieux con, ou alors est-ce que j‘ai le bon ressenti?" Au final, je pense que je ne me suis pas trop trompé.
Depuis l’arrivée de Pierre Mignoni, le club semble retrouver son âme…
C’est sa volonté. Retrouver l’identité d’un club, d’une ville, d‘une équipe. J’en suis aussi le garant, que ce soit en tant qu’ancien joueur ou par mon poste au club.
Pierre Mignoni répète qu’il veut voir ses joueurs "écrire leur propre histoire". Comment se détacher du passé sans pour autant l’oublier?
C’est une histoire de cycle. J’ai aussi connu ça en arrivant au club. On nous parlait beaucoup de la génération qui avait gagné en 1987 et 1992. Forcément, maintenant, on est les derniers à avoir gagné. Alors, les gens leur en parlent pas mal…
N’est-ce pas trop lourd à porter même si, évidemment, les joueurs ne se lèvent pas tous les matins en y pensant?
Ce n’est pas évident d’être tout le temps comparé. Et c’est pour ça que Pierre [Mignoni] a raison. Il faut qu’ils écrivent leur histoire et c’est ce qu’ils sont en train de faire. Nous, la différence, c’est qu’on a connu le succès rapidement. Mais ce n’est plus le même rugby, ni les mêmes joueurs. Il leur faut peut-être un peu plus de temps. Nous sommes sur un projet à long terme. Même si je sais qu’on ne retient toujours que le gagnant, il faut souligner le chemin parcouru.
Vous êtes désormais coordinateur sportif. Comment s’organise une semaine de demi-finale?
C’est assez… animé (sourire). Il faut tout prévoir. Pour ce déplacement, par exemple, on a décidé de faire venir tous les joueurs. Pas seulement les mecs du groupe. Cette demie, c’est une récompense collective. Alors, il faut organiser ça, gérer les accréditations, les places, les modes de déplacement. Je dois faire en sorte que ça soit le plus fluide possible. Je sais comment ça se passe, quand tu es joueur. Tu te prépares à jouer un match important et, au fur et à mesure, tu as l’impression que le temps ralentit. C’est le moment où tu cogites et où le moindre accroc peut te faire perdre de l’énergie. Alors, à moi, de par mon rôle, d’essayer d’absorber la pression collective.
À Toulon, vous avez gagné tous les trophées possibles. Allez-vous prendre la parole face au groupe?
Non. Ils savent que, s’ils ont envie de parler, ils peuvent toquer à ma porte. Je suis plutôt pour les laisser vivre leur aventure. Nous, on est juste là pour les accompagner. Je ne suis pas là pour leur expliquer les demi-finales. Oui, j’ai eu la chance d’en jouer beaucoup, mais c’est une autre histoire.
"Ne pas se contenter d’une demie" est le message du staff. Comment ne pas faire en sorte, justement, que l’équipe s’en satisfasse?
Il faut que les leaders fassent passer le message. Nous, on leur "transpire" les choses. Après, c’est à eux de se les approprier. Qu’est-ce qu’ils veulent? C’est ce qu’il faut savoir. Le chemin a été long pour revenir en demi-finale mais un club comme Toulon ne peut pas s’en contenter. On ne peut pas être juste content d’être là. On doit viser plus haut.
Var-Matin